Journées Germano-Camerounaises, 19-22 octobre 2010 – Yaoundé – Edea – Douala

Comment développer l’investissement allemand au Cameroun et quel est le rôle de la diaspora camerounaise en Allemagne ? Le Prince Kum’a Ndumbe III a développé la position de la Fondation AfricAvenir International lors des Journées Germano-Camerounaises qui se déroulent actuellement à Douala du 19 au 22 octobre 2010. Ces journées sont organisées par le Club des Amis de l’Allemagne CAA et son placées sous le Haut patronage du Premier Ministre du Cameroun avec une très forte délégation d’hommes d’affaires allemands.nComment développer l’investissement allemand au Cameroun ?

Le rôle de la diaspora en matière d’investissements au Cameroun
21 Oct. 2010

Prince Kum’a Ndumbe III.
Professeur à l’Université de Yaoundé I
Président de la Fondation AfricAvenir International
www.africavenir.org
E-Mail : gro.rinevacirfa@noitadnof

Permettez-moi, Excellences de poser ces petites questions dans le contexte de la promotion de l’économie et de l’investissement dans notre cher pays car avant d’agir, il est utile de jeter un regard en arrière :

1 – Comment s’appelait en 1884, quand les Allemands ont pris le Cameroun, l’unité monétaire qui circulait dans cette ville « Cameroons Town », rebaptisée Ville de Douala où nous tenons aujourd’hui cette conférence ?

Réponse : Le Kroo ou Kru (en allemand)

1 Kroo valait 4 Keg, soit 8 piggins, soit 16 bar en 1884

2 – Combien valait le Kroo camerounais par rapport à l’unité monétaire allemand ?

Réponse: 1 Kroo valait 20 Mark du Reich allemand (Reichsmark), 1 Keg valait 5 Mark, 1 piggin valait 2,5 Mark, 1 bar valait 1,25 Mark

Avec 1 Kroo, on pouvait s’acheter 16 ballots à 2 yards, 4 sacs de sel de 125 livres, 300 feuilles de tabac ou 100 kg de palmiste. Avec 1 piggin, on pouvait s’acheter 25 maniocs ou 5 bouteilles de rhum

3- Pourquoi le Kroo a-t-il disparu à Cameroons comme unité monétaire ?

Réponse : Après la prise de pouvoir, le Kroo sera d’abord dévalué par l’administration allemande  et ramené à 12 Mark, puis à 10 Mark. Dix ans après l’implantation de cette administration étrangère, un décret du gouverneur allemand du 6 avril 1894 supprimera l’utilisation du Kroo et instaurera la circulation exclusive du Reichsmark sur l’ensemble du territoire. Depuis 1894, donc depuis 116 ans, l’économie du Cameroun a perdu son autonomie monétaire et est gérée officiellement par des monnaies européennes. Même l’abréviation première des Comptoirs Français d’Afrique CFA  devenu en 1945
Franc des Colonies Françaises d’Afrique s’est maintenu jusqu’aujourd’hui en Coopération Financière en Afrique Centrale.

4- Pourquoi ne sommes-nous plus, nous, les Camerounais,  les premiers acteurs de notre commerce ni de notre économie ?

Réponse : Le consul allemand Emil Schulze avait signé un engagement le 12 juillet 1884 garantissant que le monopole commercial détenu par les Camerounais serait maintenu après le transfert de souveraineté à l’Allemagne. Or, par un arrêté du 19 juin 1895, tout commerce sera interdit aux Camerounais et un décret du 15 juillet 1896  déclarera les terres camerounaises terres de la couronne allemande. Les investissements seront désormais opérés par des sociétés de concessions allemandes à partir de juillet 1899. Les Camerounais désormais ne pourront être que les employés de firmes allemandes ou européennes et non plus des acteurs économiques. En 2010, les Camerounais n’ont pas encore retrouvé le monopole commercial et encore moins économique dans leur propre pays.

Les routes seront tracées du port de Cameroons Town, donc Douala, jusqu’aux lieux des investissements opérés par les Etrangers.

5 – Y avait-il une douane au Cameroun avant l’arrivée des Allemands en 1884?

Réponse : A Cameroons Town, la Douane ou les frais de douane s’appelaient Kumi avant la colonisation. Il y avait 4 douanes avec les chiffres de recettes suivants en 1885-1886 :
Douane du Roi Bell (Ndumb’a Lobe) 500 Kru, soit 10.000 Reichsmark (RM)
du Roi Akwa (Dika Mpondo) 300 Kru, soit 6.000 RM
Roi de Hickory Town ou Bonabéri (Lock Priso ou Kum’a Mbape) 150 Kru, soit 3.000 RM
Roi de Deido (Jim Epee Ekwalla) 110 Kru, soit 2.200 RM

En violation du traité du 12 juillet 1884, l’administration allemande ôtera à tous ces rois les prérogatives des droits de douane. La douane deviendra allemande et unique, sans aucun dédommagement aux 4 rois de Cameroons. Cette même douane de la ville de Douala rapporte encore en 2010 plus de 90% des recettes douanières de notre République du Cameroun.

1ère Conclusion : avec la suppression d’une unité monétaire camerounaise, la suppression du monopole commercial entre les mains des Camerounais, la suppression de la douane camerounaise, la mise sous tutelle des terres camerounaises et l’introduction exclusive des investissements étrangers, l’économie camerounaise sera restructurée dès l894 par l’Allemagne et deviendra de manière durable une économie extravertie, c’est-à-dire une économie essentiellement au service de l’étranger.

Ma dernière question : nos acteurs économiques en 2010, nos économistes, nos décideurs politiques, ont-ils profondément pris en compte ces données dans leurs stratégies de développement économique de notre pays et dans leurs négociations de partenariat économique international ?

2ème conclusion : toute action économique, tout investissement, toute action économique de la diaspora, doit être évaluée sur son efficience à restructurer l’économie de notre pays de telle manière qu’elle sorte de l’extraversion imposée et retrouve son autonomie.

Les enjeux et les forces en présence aujourd’hui

Le souci des opérateurs économiques est de gagner beaucoup d’argent, quitte à terrasser le concurrent, et dans le meilleur des cas, se retrouver avec le partenaire dans une opération gagnant – gagnant. Nous avons perdu cette bataille depuis 1884-1916.

L’héritage d’une économie extravertie au service de l’étranger met le gouvernement camerounais dans une situation très difficile à gérer. La transformation des matières premières sur place ajoutant une plus-value tout comme l’exploration de notre riche sous-sol nécessite des capitaux étrangers et des technologies importées. Or ces capitaux étrangers et ces technologies importées sont plutôt à l’aise dans une économie extravertie du Cameroun, une économie essentiellement au service des bénéfices de l’étranger. La côte d’alerte est cependant atteinte aujourd’hui quand les terres camerounaises sont massivement vendues à des investisseurs étrangers tout le long des territoires où l’eldorado des gisements miniers est attesté par les prospections, ou alors des milliers d’hectares de bonnes terres d’agriculture sont vendus aux investisseurs étrangers pour assurer la survie alimentaire de leur pays. Les Camerounais seront juste des employés bon marché. Or à ces endroits justement, de grands projets de production d’énergie sont en cours par l’Etat camerounais. L’économie de qui sera ainsi boostée par ces sources énergétiques ?

A titre de rappel : le 31 juillet 1899 sera créée la société allemande Nord-Ouest Cameroun et toute la région allant de Fontem à Banyo lui sera cédée avec tous les droits. La société Sud Cameroun créée elle le 28 novembre 1898 aura droit à une cession de 81.597 km2, dans un espace allant d’Akonolinga à Molundu, ce qui faisait 1/5è de la superficie de tout le Cameroun allemand. La conséquence a été la restructuration dans une économie extravertie au service de l’occupant.    

La grande difficulté pour le Cameroun et son gouvernement aujourd’hui est de vouloir et pouvoir devenir un pays émergent grâce à ses richesses, ces capitaux étrangers et ces technologies importées, sans toutefois sortir de l’extraversion économique et asseoir une économie gérée essentiellement par ses propres citoyens au profit d’abord de sa propre population. Des banques d’investissement au service des entreprises camerounaises, surtout des PME/PMI, font cruellement défaut.

Dans le cas présent du partenariat avec l’Allemagne, nous sommes en face d’un pays champion de l’exportation parce que son économie repose sur  ses 3,6 millions de PME-PMI qui représentent 99,7% des entreprises privées. En plus de cela, près de 95% de toutes les entreprises allemandes sont des entreprises familiales qui se transmettent de génération en génération, malgré le phénomène de la mondialisation. Il n’y a pas que la banque de crédit pour la reconstruction de l’Allemagne connue chez nous le sigle de KFW, la Banque de Développement DEG, mais aussi la banque allemande d’investissements et bien d’autres qui financent et encadrent les promoteurs économiques allemands.

Le rôle de la diaspora camerounaise en Allemagne

Alors, quel rôle peut jouer la diaspora camerounaise et particulièrement celle qui vit en Allemagne aujourd’hui ?

Si sur les 4 millions de Camerounais vivant à l’étranger, selon certaines estimations, 18.000 se retrouvent en Allemagne, dont 7000 cadres, une responsabilité particulière incombe à cette diaspora dans la coopération germano-camerounaise. Avec les 30 millions d’Euro par an transférés par ces compatriotes au Cameroun et la concentration de ces diplômés camerounais dans les matières techniques et scientifiques, la tentation est grande de vouloir devenir la courroie de transmission des transferts de technologies allemandes au Cameroun en joint- venture, en conseil ou en entreprise propre. Le transfert de technologies en lui-même n’est pas un élément suffisant pour booster l’économie du Cameroun, il peut même devenir dangereux s’il n’est pas opéré avec un grand discernement sur ce qui est vraiment nécessaire au Cameroun et qui lui permettrait de sortir de son extraversion économique et scientifique.

Les archives et les bibliothèques allemandes sont, par le fait de l’histoire, pleines de documents sur l’histoire économique et l’histoire scientifique du Cameroun avant 1884, mais les Camerounais faisant leurs études en Allemagne ignorent tout de ces documents dans leur écrasante majorité. Ils font leurs études, tout comme leurs collègues étudiant au Cameroun d’ailleurs, comme si l’ignorance de soi ou l’ignorance des forces et faiblesses de son pays au fil de l’histoire constituaient la meilleure arme de réussite pour développer son propre pays. La formation et la vision extraverties de nos cadres sont un danger majeur pour la solution de nos problèmes fondamentaux. Elles doivent être complétées par des rappels incessants sur ce qui a fait rétrograder le Cameroun et l’Afrique. C’est par cette prise de conscience et des actions conséquentes qu’une coopération gagnante – gagnante  permettra au Cameroun de sortir de son extraversion économique endémique et de devenir un pays émergent au profit de ses citoyens.

Bibliographie : Kum’a Ndumbe III, L’Afrique s’annonce au rendez-vous, la tête haute, Ed. AfricAvenir/Exchange & Dialogue, Douala/Berlin/Vienne, 2007 ; Stratégies de survie des populations camerounaises dans une économie mondialisée, 2007, Das Deutsche Kaiserreich in Kamerun, 2008 ; moc.eugolaid-egnahcxe@redro

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