„Autopsie d’un non-événement“ – Interview avec la réalisatrice Valérie Osouf

Le 9 décembre 2010 Valérie Osouf co- réalisatrice du film « Cameroun : autopsie d’une indépendance » a accordé un entretien à AfricAvenir avant de la projection de son film, dans le cadre du « Cinquantenaire des indépendances africaines » à Berlin. Dans l’entretien suivant, elle parle de la résonance contemporaine de l’histoire coloniale en France et des réactions qu’elle a reçues au Cameroun pour le documentaire sur la «  guerre qui n’aura jamais dit son nom ».

AfricAvenir : Comment est venue l’idée de réaliser « Cameroun : Autopsie d’une indépendance » ?

Valérie Osouf : Je pense que chaque génération porte plus ou moins en elle, pas forcement la culpabilité, mais un questionnement sur les actions de la génération précédente. Pour nos parents, par exemple, c’est la deuxième guerre mondiale et la shoah qui les ont fortement axés leur positionnement moral et idéologique. Nous, Gaëlle Le Roy et moi-même, sommes très intéressées par l’histoire coloniale française depuis des années, aussi car la génération de nos parents est celle de la guerre d’Algérie. Ce pan de  l’Histoire de France est donc une préoccupation commune depuis longtemps.

Est-ce qu’il y a eu un moment décisif qui vous a convaincu de la nécessité de réaliser ce film sur la mémoire d’un moment spécifique de la colonisation française ? nNous avions déjà écrit sur d’autres sujets liés à l’histoire coloniale française, mais ces projets avaient été refusés par les chaines de télévisions. C’est en novembre 2005, au moment où il y a eu une proposition à l’assemblé nationale qui demandait aux auteurs des manuels scolaires de mettre l’accent sur les aspects positifs de la colonisation française, que nous nous sommes dit que nous allions proposer la preuve indéniable du contraire. Puisque qu’il y a déjà eu quelques mentions sur ces années de résistance de l’UPC (Union des populations du Cameroun) dans les ouvrages « La Françafrique – Le plus long scandale de la République » de François-Xavier Verschave, fondateur de Survie (www.suvie.org) et « Main basse sur le Cameroun » de Mongo Beti, nous avons croisé quelques recherches avec eux et avons donc, dès lors, commencé notre travail.

Pourquoi avez-vous notamment choisi l’histoire de la France au Cameroun ?nJe crois qu’elle est particulièrement méconnue, particulièrement cachée et particulièrement effacée. nAu Cameroun les traces, les archives et les corps ont disparu. C’est justement lié au statut particulier du Cameroun et au fait que ma coréalisatrice y avait vécu quelque temps que nous avons choisi ce cas exemplaire et extrême.

Est-ce que vous croyez qu’il y a des cas comparables à celui de Ruben Um Nyobé, considéré comme un des martyrs africains les plus importants sans que presque personne ne le connaisse ici en Europe?nLes histoires ne sont jamais pareilles. Mais ce qui est sur, c’est que l’on connait bien les luttes de Patrice Lumumba, de Kwame Nkrumah et de Julius Nyerere, alors que presque personne ne connait Ruben Um Nyobé. Pourtant c’était la même lutte! En plus, à mon avis, même si je n’ai pas envie de hiérarchiser les héros, c’est Um Nyobé qui me touche le plus quand je lis ses écrits. Mais on ne doit pas oublier qu’au Cameroun il était interdit de mentionner le nom d’Um Nyobé jusqu’au 1991.

Alors, quelles ont été les réactions au Cameroun quand le film a été diffusé en 2008?nLe film a beaucoup circulé au Cameroun grâce à internet (www.kmer.matip.de) et grâce à un réseau militant qu’on appelle "’UPC fidèle", parce qu’il y a malheureusement plusieurs branches issues de l’ancien UPC et le projet politique initial en est un peu dévoyé. Mais nous avons eu beaucoup de réactions, des réactions de personnes ayant perdu des proches et qui ont faim de cette histoire. nÀ l’inverse, du côté du gouvernement camerounais, il n’y a pas eu de réactions du tout. Seul l’ancien Chef de l’Etat Major camerounais le Général Pierre Semengue, que l’on voit dans le film, a eu le courage d’en témoigner. Mais plusieurs ont refusé l’entretien.

Et en France comment a-t-on reçu le film ? nEn France c’est très simple : il n’y a pas eu de réactions, c’est ça la réaction. C’est typiquement français : "Il ne s’est rien passé au Cameroun, les archives n’existent pas, on ne programme pas le film sur le réseau hertzien  et on ne le rediffuse pas pour le cinquantenaire des "indépendances." Il n’y a pas eu de réactions. Si, pardon, quelques articles de bonne presse télé…

Mais « Autopsie d’une indépendance » a été diffusée à la télévision française, ou non ? nOui, mais il est passé à 21h15 sur la TNT. Alors peu de gens ont pu le voir. Ensuite l’organisation Survie a organisé de nombreuses projections et des débats dans toute la France. Lutte Ouvrière (www.lutte-ouvriere.org), un parti trotskiste et d’autres associations de gauche ont également soutenu le film.

Dans le film vous dites aussi « l’indépendance: le mot est lâché » pour caractériser la transition de la décolonisation au Cameroun. Qu’est ce que ça veut dire, 50ans après l’indépendance officielle de plusieurs pays africains?
C’est le mot qui est lâché. C’est triste mais ce n’est que le mot. Parce que de toute façon, tout les leaders africains ayant essayé de faire en sorte que ce ne soit pas que le mot, je parle des anciennes colonies françaises, soit on les a rendus fous, soit on les a assassinés. Ou les deux, l’un après l’autre. Mais ailleurs ce n’est que le mot.

Alors pour vous l’année 2010 n’était pas une année extraordinaire ? nNon, franchement non. Non, parce que regardez qui est au pouvoir ! Partout ce sont les régimes autoritaires et dictatoriaux qui sont en place. Au Cameroun Paul Biya, on ne sait pas encore mais c’est probable qu’il se représente en 2011. Au Gabon c’est le fils d’Omar Bongo qui est là, au Sénégal on risque d’avoir le fils de Wade au pouvoir… Je ne vois pas ce qu’il y a à célébrer ! Ce qui il y a à célébrer c’est peut être une jeunesse africaine beaucoup plus informée, beaucoup plus consciente et moins aliénée. Mais autrement c’était plutôt un non-événement pour moi ce cinquantenaire.

Est-ce que vous avez l’impression, que de l’autre côté, l’Europe est en train de se décoloniser, comme Achille Mbembe le réclame dans son nouveau livre « Sortir de la grande nuit » ?nAchille Mbembe a dit « On a décolonisé sans s’auto décoloniser ». Mais pour moi ça concerne vraiment une génération de gens qui ont 50 ans et sont plus âgés que nous. Mais il ne me semble pas que dans votre génération ou dans la mienne, on soit façonné avec ce profond mépris idéologique qui a endoctriné les générations précédentes. Je pense qu’on a tellement d’autres influences actuellement: les États-Unis, la Grande Bretagne… Je ne pense pas que les gens qui ont 20 ou 30 ans aujourd’hui soient façonnés comme ça, ce me semble…nA votre avis, où trouve t-on le blocage qui ne permet pas un débat sur les aspects historiques refoulés ?nA mon avis, il y a un vrai blocage au niveau universitaire. En France ça commence d’abord avec l’université. S’il n’y a pas de directeurs de thèse qui encouragent leurs étudiants à soutenir leur thèses sur l’histoire coloniale sans faire une thèse B ou une thèse qui soit dévaluée après sur le marché du travail ou dans la concurrence universitaire. Je salue au passage la thèse de Noumbissie Tchouake et celle de Simon Nken (publiée il y a 3 mois). D’abord les éditeurs et les universitaires, ensuite il faudrait que, par exemple, l’histoire du Cameroun ou un autre temps de l’histoire coloniale tombe comme sujet à l’agrégation d’Histoire. Cela obligerait toute une génération de jeunes historiens qui prétendent vouloir être professeur d’histoire, à étudier tout ça et à chercher d’autres sources. Et seulement après, ça pourra aller vers les Lycées, puis de collèges en écoles. Mais ça marche comme ça généralement. Et pour l’instant ce n’est pas encore reconnu autrement que comme une histoire mineure dans l’histoire mondiale, ça c’est clair.nActuellement vous travaillez sur un film sur les prisonniers étrangers en France avec Granit Films (www.granitfilms.com) votre propre société de production. Quel est le thème de ce projet ? nNous sommes en train de produire un long métrage documentaire sur les prisonniers étrangers en France, qui représentent environ 20% de la population carcérale. Le film montre différents types de personnes et de parcours dans les prisons en France. Il y a par exemple des gens qui ont été emprisonnés uniquement parce qu’ils ont refusé d’embarquer vers leur pays d’origine mais qui n’ont commis aucun délit de droit commun alors que d’autres ont passé la majeure partie de leur vie derrière les barreaux. Ces étrangers passent par des institutions comme les tribunaux, les préfectures et les centres de rétention administrative. Le film est en fait une réflexion sur les institutions par lesquelles passent les étrangers en France, l’administration préfectorale et le corps judiciaire.

Propos recueillis à Berlin par
Moses März

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