Rapport: Débats passionnés à Douala sur les films “Contre l’esclavage – Les héros de la résistance/200 Years Later-After the Maafa”
Dans le cadre de l’Exposition «CONTRE L’ESCLAVAGE – LES HEROS DE LA RESISTANCE/ 200 YEARS LATER-AFTER THE MAAFA », organisée par la fondation AfricAvenir International à son siège à Douala, la fondation a montré à ses membres du 07 au 18 Janvier 2013 une série de films éducatifs sur les résistants à l’esclavage, à la colonisation, et au néocolonialisme. L’entrée était gratuite.nEn ouverture, le samedi 07 à 18h30, le public découvre le film MORT A MEMPHIS, le mystérieux assassinat de Martin Luther King. Cette réalisation de Thomas Giefer qui fait partie des films de la série « Assassinats Politiques » présente le combat du Révérend King, sa mort et le déroulement de l’enquête sur celle-ci. A la fin de la projection, la première réaction, celle d’un retraité de la marine, laisse voir un sentiment de révolte. Une deuxième réaction s’arrête sur le courage de Martin Luther King et sa détermination à aller jusqu’au bout de son combat, ne craignant ni les multiples persécutions, ni même la mort. Cette intervention séduit la masse et on l’« adopte ».nNAT TURNER, a troublesome property de Charles Burnett présente un esclave qui a mené l’une des révoltes d’esclaves les plus réussies aux Etats-Unis. Ce natif de Southampton, en Virginie, faisait croire aux gens qu’il avait un destin de prophète. Et il réussit par ses prédications à convaincre d’autres esclaves de se rebeller et de résister contre l’institution de l’esclavage. L’éclipse solaire de Février 1831 était pour lui un signe divin pour monter une insurrection. Dès le 21 Août, lui et sa bande entrent dans les maisons des blancs propriétaires d’esclaves, et assassinent tous ceux qui ont la peau blanche, jusqu’aux enfants. Si pour les esclaves à cette époque, les méthodes de Nat Turner étaient louables, le public dans la salle a totalement rejeté cette façon de réagir, lui qui est contemporain et qui vit dans un monde différent, où les races cohabitent sans lois ségrégationnistes. nLes Derniers Jours d’une Icône : MALCOLM X de Ted Anspach montre un leader dont la méthode de lutte au départ était très radicale : il ne prônait non pas l’égalité des races comme Martin Luther King, mais la supériorité de la race noire. Plus tard, après son retour de la Mecque, où il s’est vu assis avec des hommes blancs dans des mosquées, sa vision du monde a changé. Lorsque ses adversaires deviennent des gens de son propre camp, notamment Elijah Muhammad, leader de la Nation Of Islam pour qui il était « le disciple parfait », Malcolm X se voit fragilisé et se rapproche de Martin Luther King, qu’il n’appréciait pas à cause de sa méthode de non-violence. A ce moment, le rapprochement de ces deux leaders fait tellement peur au Directeur du FBI Edgar Hoover, et il se donne pour mission d’empêcher cela. Au final, Malcolm X reçoit 16 balles dans le corps et les auteurs directs sont des membres de la Nation of Islam. Mais le comportement de la police sur le lieu du drame laisse croire que d’autres gens ont tiré des ficelles. nMORT A GENEVE de Franck Garbely, UNE MORT DE STYLE COLONIAL de Thomas Giefer, et FRATRICIDE AU BURKINA de Didier Mauro et Thuy-Tien Ho nous ramènent dans l’Afrique contemporaine. Dans le premier, les spectateurs sont surpris et choqués à cause de ce qu’on taxait Félix Moumié de terroriste, à Genève. Ils découvrent des faces cachées de l’histoire de leurs pays comme l’utilisation du napalm par les Français contre les résistants, l’incendie du marché Congo avec du monde à l’intérieur, etc. Les témoignages des anciens membres de l’UPC au sujet des massacres perpétrés par les compatriotes luttant pour la France, et les images de violence diffusées sont très choquantes et révoltantes. Dans la salle, on est silencieux et on regarde. Et de temps en temps, des exclamations se font entendre. Les deux derniers films nous entraînent dans un débat très argumenté : « Que faut-il faire quand on gouverne avec un frère qui ne va pas dans la même direction que toi ? ». nDans la salle il y’a deux camps : L’un est pour l’élimination, et l’autre pour le dialogue perpétuel et la patience en vue de convaincre. Et si convaincre n’est pas possible, la séparation de route, mais pas la mort. On assiste alors à un jeu de ping-pong car chacun des camps argumente en faveur de sa position, et le camp de l’élimination est encore plus passionné et ne veut pas entendre l’autre option. nLa discussion prenant du temps et n’allant pas au-delà des arguments pour et contre, le modérateur l’arrête et interpelle le Prince Kum’a Ndumbe III, assis en dernière ligne et tenant la nouvelle publication des Editions «AfricAvenir/ Exchange and Dialogue » REDECOUVRIR SANKARA, MARTYR DE LA LIBERTE de Ndongo Samba Sylla. Le fondateur de AfricAvenir International prend la parole et dit : « J’ai beaucoup appris en écoutant les réactions des uns et des autres. » Puis, il présente succinctement le livre et lit au public sa lettre ouverte aux dirigeants Burkinabé, écrite le 23 Novembre 1987, un mois après l’assassinat de Thomas Sankara. Dans ses écrits, on peut lire : « …Vous qui avez éliminé Sankara et ses proches, êtes-vous sûrs de détenir la clé des problèmes qui se posent à votre pays et à notre continent ? Ne vous tromperez-vous pas, à votre tour ?nEt s’il vous arrivait de vous tromper, et s’il vous arrivait de ne pas pouvoir résoudre les immenses problèmes qui agressent votre pays et notre continent, conviendrez-vous que la meilleure solution serait votre élimination physique ? … »nCette interrogation arrive à pic dans la discussion qui animait les deux camps dans la salle. Mais personne ne dit plus rien. Après lecture de ce texte, le Prince reprend sa place, et le modérateur sans aucun autre commentaire, lève la séance et annonce la prochaine diffusion.nLes films A SON OF AFRICA de Alrick Riley, et CABRALISTA de Val Lopes, permettent au public de découvrir deux figures pas très évoquées dans les débats courants : Olaudah Equiano et Amilcar Cabral. L’attention du public semble plus dirigée vers le film de Val Lopes, qui présente la situation de Cabral d’un ton très poétique. Le réalisateur évoque le combat de ce fils de Guinée Conakry et du Cap-Vert, son dévouement, et son assassinat. Mais il ne s’attarde pas sur ce côté sombre. Le montage se rapproche au genre de videoclip et ne permet pas aux spectateurs de rester sur les lamentations et les pleurs. On entend la voix des jeunes admirer Cabral et promouvoir le Cabralisme. « Cabral n’est pas mort ! », répète-t-on. Ces voix et ces images de jeunes gens prônant l’idéologie de Cabral sont celles qui nous entrainent jusqu’à la fin du film. Ici, les visages des spectateurs ont un autre aspect, plutôt luisants, et les réactions sont presque unanimes ; On nous présente Cabral de cette façon pour que nous ne restions pas dans des positions de victimes, mais pour que nous puissions continuer la lutte avec force et détermination, sans nous laisser influencer par quelque sentiment de revanche ou de faiblesse. Les deux doigts en l’air qui s’attendaient à « pleurer » comme ce fut le cas avec d’autres films ont finalement chanté l’hymne de l’espoir avec le reste.nLe prince Kum’a Ndumbe III, interpelé, présente au public sa pièce de théâtre « Amilcar Cabral ou la tempête en Guinée Bissao », écrite le 02 Juin 1973 et publié en 1976 par les Editions Pierre J. Oswald, puis la lettre adressée à Amilcar Cabral à titre posthume, publiée par le magazine Afrique- Asie, le Lundi 19 février 1973. Ce dernier exemplaire de cette pièce de théâtre datant de 40 ans parcoure la salle et chacun le touche et le feuillette. Le Prince saisit cette opportunité pour attirer l’attention de l’assistance sur l’importance de la lecture ; Il est inadmissible que les écrits de nos génies ne soient pas mis à la disposition du public, surtout à la disposition de cette jeunesse qui est le fer de lance du continent. Le Professeur Kum’a Ndumbe III distribue à chacun un exemplaire de sa lettre à Cabral, avec à côté un texte du Bureau national du syndicat des enseignants du Sénégal dénonçant l’assassinat de Cabral. Le Prince demande de photocopier un texte de sa pièce de théâtre « Amilcar Cabral », intitulé : « La Guinée Bissao : une victoire exemplaire » et de le distribuer au public. La jeunesse doit connaître ses génies, savoir ce qu’ils ont fait ou écrit, afin de trouver les mécanismes pour sortir de cette caverne dans laquelle on a voulu enfermer l’homme africain. Deux semaines de débats passionnés autour de films sur nos héros de la résistance, dans une salle où trônent encore les tableaux de nos héros de la résistance contre l’esclavage.
En annexe : n
- Kum’a Ndumbe III, Cabral, mon frère ; Bureau National du syndicat des Enseignants du Sénégal, La lutte continue, in : Afrique-Asie, 19 février 1973
- Kum’a Ndumbe III, Amilcar Cabral ou la tempête en Guinée-Bissao, Pièce-document, Ed. p.j. oswald, « théâtre africain », Paris 1976 (couverture)
- Kum’a Ndumbe III, Lettre aux dirigeants Burkinabe, 23 novembre 1987
nJean NDOUMBE
Chargé des projections