Many Camara: Le tournant énergétique dans les pays d’exploitation d’uranium – Exemple du Mali

Dans son article „Le tournant énergétique dans les pays d’exploitation d’uranium- Exemple du Mali“ Many Camara, sociologue et représentant de l´Association des Ressortissants et des Amis de la Commune de Faléa ( ARACF), analyse les possibilités et défis pour les régions d´exploitation d´uranium de sortir du nucléaire pour réaliser le tournant énergétique vers les énergies renouvelables.nnLe tournant énergétique dans les pays d’exploitation d’uranium – Exemple du MalinLe Mali est un vaste pays en situation de pauvreté énergétique mais disposant d’importantes potentialités sous-exploitées.
Comme l’indique son bilan du commerce extérieur négatif, il est très peu développé et extrêmement vulnérable sur le plan énergétique 

Sa consommation énergétique provient pour 80 % de la biomasse (bois et charbon de bois), 17 % des produits pétroliers, les 3% restant de source électrique. La part des ménages représente 86 % (dont 77 % pour les ménages urbains), celle des transports 10 %, l’industrie en absorbe 3 % et l’agriculture 1 %. Seulement 15 % de la population (ménages, unités de production et services) ont accès à l’électricité principalement dans les zones urbaines

L’utilisation du bois de chauffage ou de charbon de bois pour cuisiner représente 99 % de l’énergie utilisée par les ménages. Cette demande est satisfaite au prix d’une exploitation insoutenable des ressources ligneuses, ce qui constitue une grave menace écologique pour les espaces naturels du pays. C’est également un risque sanitaire élevé dans la mesure où la combustion dans des espaces clos augmente les infections pulmonaires,une cause majeure de mortalité au Mali. 

La couverture des besoins en hydrocarbures atteint plusieurs centaines de millions d’euros.

La situation énergétique du Mali est tributaire de facteurs contraignants dont les plus importants sont :
l’enclavement extrême du pays et l’importance des distances de transport et le renchérissement des produits et équipements énergétiques importés; 
sa grande étendue territoriale (1.240.000 km²) associée avec une très faible densité de peuplement humain ; 
la fragilité de son écosystème due à des conditions climatiques précaires et à l’exploitation irrationnelle des forêts ; 
l’insuffisance notoire des structures et mécanismes de financement locaux; 
la faiblesse des capacités des opérateurs privés du secteur ; 
le très bas niveau du pouvoir d’achat des populations.

Cependant, le Mali dispose d’importantes potentialités énergétiques qui demeurent largement sous-exploitées :
les deux plus grands fleuves de l’Afrique de l’ouest (le fleuve Sénégal, long de 1800 km, a environ la moitié de son parcours au Mali et le fleuve Niger qui a 4200 km dont 1700 km dans le pays) et leurs affluents avec un important potentiel hydroélectrique (près de 1050 MW) dont les ¾ ne sont pas encore exploités ;
un énorme rayonnement solaire (6 à 7 kWh/m²/jour disponible pendant
4000h/an) dont le niveau d’exploitation est très insignifiant à cause du coût élevé de l’investissement initial ; 
un important potentiel en biomasse, p.ede résidus agricoles et agro-industriels comme les tiges de cotonnier et les balles de riz disponibles annuellement, certaines plantes envahissantes tel que le typha australis également exploitables ;
un gisement éolien non négligeable (3 à 7 m/s de vitesse de vent), essentiellement concentré dans les zones sahéliennes et sahariennes du pays. 

Une politique et des stratégies nationales incohérentes

Afin de résorber son déficit énergétique et faire du secteur énergie un puissant levier de développement autonome, viable et durable, l’Etat malien s’est fixé comme objectifs, entre autres :
de valoriser le potentiel en ressources énergétiques nationales (hydroélectricité, énergies renouvelables); 
d’assurer l’accès de la plus grande partie de la population du pays à l’énergie en quantité et à moindre coût ; 
de protéger et préserver les ressources existantes en combustibles ligneux (notamment le bois-énergie) par une exploitation soutenable au profit des populations rurales ;
de préserver l’environnement et la santé des populations.

Mais, paradoxalement, les programmes d’actions et l’essentiel des efforts d’investissements sont axés sur :
la diversification et l’intensification de l’exploitation minière afin d’accroître les recettes en devises, fournir des emplois aux populations et leur permettre d’améliorer leurs niveaux de revenus ;
la prospection pétrolière en vue de la mise en place des projets de production permettant de réduire la dépendance du pays vis-à-vis de l’extérieur tout en augmentant le niveau des finances publiques ;
la recherche et l’exploitation de l’uranium, le développement des applications pacifiques de l’énergie nucléaire dans le cadre de la coopération avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (A.I.E.A.). Ainsi, des permis de prospection sont accordés à Oklo-Uranium Company pour l’Adrar des Iforas et à Great Quest dans la zone Samit, Région de Gao, au Nord du Mali et au consortium Rockgate Capital Corp-Delta Exploration Inc. pour la Commune rurale de Faléa, située à l’extrême sud-ouest du pays.

L’exploitation de l’uranium est considérée par les autorités maliennes comme la meilleure chance de développement pour le pays parce que les besoins d’approvisionnement en énergie des pays occidentaux hautement industrialisés et des pays émergents ne cessent de croître et le prix de cette ressource énergétique est également en constante augmentation.
Ces choix de priorités impliquent le développement d’industries polluantes, très coûteuses à terme, pour le pays et dangereuses pour l’environnement et la santé des populations. La desserte en électricité ne couvre pas les besoins des larges masses populaires urbaines et rurales.
L’attente des avantages escomptés est aussi largement illusoire. En effet, les conditions géopolitiques du marché mondial des matières premières ne permettent pas au Mali d’assurer un accroissement significatif et constant de ses ressources financières. Afin de réaliser des investissements dans d’autres secteurs stratégiques (éducation, santé, recherche, agriculture, etc.), il faudrait diversifier l’économie, créer massivement des emplois, améliorer les revenus et développer le marché intérieur. Les cadres législatifs et réglementaires, encadrés par les bailleurs de fonds étrangers, en particulier les institutions financières internationales, sont lénifiants pour les investisseurs internationaux (garantie d’une participation archi-majoritaire au capital, avantages fiscaux, facilités douanières, protection contre les risques…).
L’Etat malien, n’a aucune maîtrise sur ces filières et les échanges commerciaux internationaux. Il sera, inévitablement confiné dans un rôle d’exportateur dans des conditions très défavorables qui organisent en fait l’érosion de ses revenus et le pillage des ressources du pays. 
Le cas du Niger, son voisin, où principalement la société française Areva exploite de l’uranium depuis plus de quarante ans est éloquent et instructif. Sur toute cette période, ce pays n’a reçu que seulement 12 % de la valeur de l’uranium produit sur son sol et il figure, depuis deux décennies, dans la catégorie des « pays pauvres très endettés » !
L’exploitation de l’uranium présente des inconvénients incommensurables aux conséquences irréversibles. Outre que les activités des entreprises uranifères déposent dans les zones d’extraction du minerai jaune 80% de la pollution produite par la filière nucléaire, elles exigent d’énormes quantités d’eau pour les forages et la production du yellow cake et entraînent l’assèchement des nappes fossiles, la pollution – et, la dégradation irrémédiable de l’environnement.
En somme, elles provoquent l’abandon des activités économiques basées sur ces ressources vitales. Par surcroît du fait de la toxicité chimique et de la radiotoxicité  de ce minerai et de ses effets délétères sur les organes de reproduction, l’exploitation de l’uranium induit la propagation de graves pathologies causées par le radon et ses autres éléments de décomposition : les cancers bronchiques et pulmonaires, les tumeurs de la moelle osseuse, de l’estomac, du foie, de l’intestin, de la vésicule biliaire, des reins et de la peau; des leucémies et autres affections hématologiques, malformations de naissance, des troubles psychologiques..
Face à une telle situation, l’Etat malien qui ne dispose ni de ressources compétentes ni d’équipements, d’instruments juridiques et ni d’institutions appropriées, ne pourra pas préserver l’environnement et la santé de ses populations, leur offrir de nouveaux emplois et améliorer leurs conditions de vie. Les acteurs locaux manquent d’informations, de connaissances et d’expertise et l’absence d’institutions ou structures indépendantes de surveillance et de contrôle empêchent tout développement de la gouvernance démocratique dans la filière et le secteur mines-pétrole en général, favorisent l’absence de transparence dans les pratiques des entreprises minières et la violation flagrante par elles des droits humains des populations résidentes.
Même si les activités minières demeurent encore spéculativement rentables, le nucléaire n’est pas une filière d’avenir : L’énergie nucléaire répond à seulement 3% de la demande mondiale en électricité avec une tendance à la baisse. Les coûts de production et de gestion du nucléaire  sont très élevés, en constante augmentation et tendent à devenir prohibitifs. Les agences de notation considèrent le nucléaire comme un secteur à risque très élevé. Les deux tiers des 31 pays nucléarisés du globe ont passé leur pic de génération d’électricité nucléaire et de grands pays industriels du secteur (l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, le Taiwan) ont déjà programmé leur retrait progressif. Ceux qui, comme la France, intensifient davantage leur production nucléaire, sous prétexte que les nouvelles centrales sont une technologie de transition jusqu’à ce que les renouvelables soient rentables, retardent voire empêchent en fait leur indispensable « conversion » (leur progression dans le processus de transition énergétique) puisque celles-ci ne viennent pas en complément aux énergies renouvelables mais plutôt en concurrence. La tâche des acteurs citoyens de ces pays retardataires est d’éclairer et de sensibiliser les décideurs politiques et les investisseurs sur cette réalité.

Le Mali doit donc se libérer de son illusion d’optique énergétique et commencer à bâtir une économie moins dépendante du pétrole et du gaz, éviter aussi le nucléaire, car l’avenir est dans les technologies propres, les énergies renouvelables, la sauvegarde et l’autosuffisance. 

Voies et stratégies alternatives à l’exploitation d’uranium
nL’État malien veut assurer à ses populations l’accès universel aux services énergétiques modernes  pour les sortir de leur situation de pauvreté et renforcer leurs capacités en matière de contribution au développement local et national. Pour ce faire, sa politique énergétique devrait privilégier les technologies bon marché, qui consomment moins d’énergie et des biens matériels avec une durée de vie plus longue. Par conséquent, pour apporter une réponse appropriée et efficace à sa problématique spécifique, il lui est nécessaire d’adopter à la fois une approche intégrée et territoriale, une démarche transversale et de diversification, qui se basent sur les besoins réels et combinent plusieurs solutions.
Le problème de l’énergie doit tout d’abord être abordé en suivant simultanément ses deux principaux paramètres indissociables: la consommation et la production.
Concernant la consommation, il est nécessaire de mettre en œuvre une politique de développement en faveur de solutions durables et de la conservation de l’énergie. Dans ce cadre, la consommation d’énergie des ménages doit être minimisée. Les industries doivent appliquer un système circulaire de réutilisation des déchets et de maximisation de la production, similaire mais adapté à la symbiose industrielle de Kalunborg au Danemark où l’excédent de production d’énergie d’une industrie nourrit l’autre et la perte de la première sert de principale ressource pour la seconde. .
Il est aussi important de développer un système de transport public efficace combinant la navigation sur les cours d’eau, les chemins de fer, des véhicules « écologiques » pour réduire les émissions de carbone et la segmentation des écosystèmes, tout en en assurant la liberté de mouvement des habitants. La pire des inconséquences et la plus grande difficulté de développement du secteur de l’énergie provient de la volonté de distribuer de l’électricité à des populations qui ne peuvent pas la payer. Pour surmonter ce problème, il serait judicieux de s’orienter vers la conception et l’application d’une régulation spéciale et d’une tarification sociale du prix de l’électricité de source d’énergie durable (cadre réglementaire et fiscal stimulant consistant notamment en l’institution d’un système incitatif de prix d’achat garantis, assorti d’une clause d’obligation d’achat d’électricité verte par les grands producteurs et consommateurs, et de tarifs sociaux de l’électricité produite à partir des énergies renouvelables). Il faudra également susciter le développement des circuits économiques courts, susceptibles de créer de nombreux emplois avec un retour massif à l’artisanat, à la petite industrie et au commerce local, ce qui aura pour effet, entre autres, de faire croître les revenus et le pouvoir d’achat. Concernant la durabilité, la priorité est d’arrêter d’importer des solutions technologiques exogènes qui renouvellent les dépendances vis-à-vis des industries des pays développés ou émergents. Les innovations doivent être nécessairement pertinentes et appropriées, c’est-à-dire répondre aux besoins économiques, aux capacités techniques et financières, aux habitudes et comportements culturels des producteurs et des consommateurs africains.

Sur le plan stratégique, la décentralisation et la diversification sont primordiales. Par exemple, les petites centrales hydroélectriques ont moins d’impact environnemental. En décentralisant la production d’énergie, on favorise également l’utilisation des ressources disponibles localement et on peut apporter plus facilement des réponses appropriées aux besoins des communautés. La décentralisation offre les services énergétiques pour les autres secteurs (agriculture, eau, éducation, santé, etc.).  

Bambou au lieu de l´uraniumnLe site de Faléa doté d’un énorme potentiel de bambou offre un lieu propice d’application de cette démarche. . On pourrait  développer une filière à partir de cette ressource naturelle locale : agriculture – transformation – commercialisation – construction. Il s’agira d’approvisionner les marchés  et de ramener la valeur ajoutée au niveau des acteurs villageois. Le projet s’appuiera sur la mise en place d’un centre de formation professionnelle de qualité aux métiers du bambou : agriculteurs et coupeurs de bambou, ouvriers de l’industrie (transformation en atelier), ouvriers de maîtrise d’art, architectes de constructions en bambou associé à des matériaux locaux. Un développement par village ou par groupe de villages pourraient être suivi de façon complémentaire
Chaque région du Mali a son potentiel d’énergie renouvelable spécifique qui devrait être exploité afin de répartir la pression sur l’environnement et réduire l’impact des activités humaines. Ainsi, la zone désertique du nord du pays dispose d’un énorme potentiel solaire et d’énergie éolienne. L’utilisation du four solaire et de panneaux éoliens pourrait réduire fortement l’impact de la déforestation.  
Le Mali possède également l’un des plus grands cheptels bovins de l’Afrique qui représente un énorme potentiel de biogaz. 
En outre, grâce à la diversification des sources d’énergie le Mali pourra sortir du piège des biocarburants qui contribuent à la surexploitation de la biomasse, facteur de risque écologique majeur. 
Parmi, les conditions de réussite des options et stratégies préconisées ci-dessus, il faut souligner :
la lutte nécessaire pour arrêter ou empêcher la destruction du potentiel énergétique, des bases de vie et modes traditionnels de gouvernance (ressources naturelles, richesses culturelles, modes de gestion du patrimoine domanial et foncier commun) ;
l’amélioration de la gouvernance de l’énergie et du développement tant à l’échelle nationale qu’au niveau local pour la rendre démocratique, inclusive, juste et socialement équitable ;
la mise en place de mesures structurantes qui favorisent la diversification des économies, le développement des complémentarités et des synergies entre les différents acteurs (État, collectivités décentralisées, communautés locales, coopératives, groupements professionnels ou économiques, associations, etc.);
La prise en compte de la formation professionnelle de qualité des ressources humaines, de la recherche et de l’innovation un enjeu majeur;
La réorientation de l’aide au développement, un meilleur ciblage des besoins et des acteurs, et l’élargissement de son accès aux acteurs de basen
Le projet « Paradoxes de la gestion durable – Les technologies "vertes" sont-elles réellement équitables socialement ? » s’effectue avec le soutien financier du Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) et la Landesstelle für Entwicklungszusammenarbeit (LEZ).

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