Jean-Pierre Bekolo: Lettre ouverte au consul Allemand et à tous les autres consuls occidentaux en Afrique qui se reconnaîtront LE CONSULAT- ESPACE D’HOSTILITÉ OU D’HOSPITALITÉ?

A l’heure où des bateaux avec des milliers de migrants débarquent sur les côtes européennes et que l’occident joue soit les aveugles, soit les victimes d’une invasion alors que celle-ci n’est que la conséquence d’un mouvement de reflux commencé il y a quelques siècles par les occidentaux qui ont étés les premiers à étendre leurs frontières jusqu’à nous et aujourd’hui sont rattrapées par leur violence, leur exploitation et leur mépris vis à vis des peuples autochtones. Il est important de jeter un regard sur une violence infligée au quotidien à l’aspirant immigrant pendant que celui-ci est encore chez lui dans cet espace qu’est le consulat. Le consulat, parce qu’il est avant tout le seuil de cette porte, limite de deux mondes où on frappe, cette porte qui va s’ouvrir et qui débouche sur cette volonté de contrôle qui s’instaure dès le moment où votre hôte vous demande les papiers afin de savoir à travers votre identité qui vous êtes, et essaye de vérifier si vous méritez d’entrer ou pas. C’est au seuil de cette porte que débute une notion connue de tous les peuples de la terre; celle de l’hospitalité qui devrait s’appliquer autant aux migrants partis d’Afrique pour échouer en Europe sans visa qu’à ceux qui viennent demander officiellement un visa où ceux comme moi qui sont invités. Quand je me retrouve devant le consulat Allemand de Yaoundé à faire la queue suite à une invitation à un prestigieux programme d’artiste en résidence à Berlin où je suis si ce n’est le premier cinéaste africain au moins le premier camerounais, je suis dans la foule avec des dizaines d’autres camerounais voulant se rendre en Allemagne. A mon grand étonnement, je constate malgré l’expérience d’humilité qui n’est jamais désagréable, qu’il n’existe pas d’autres moyens d’entrer dans ce consulat, de poser son problème à l’abrit des regards indiscrets, d’être reçu dignement.nA partir du moment où on doit se rendre en Allemagne, on doit accepter le traitement inhumain organisé pour « traiter » celui qui quémande l’entrée en Allemagne ; ce qui n’est pas mon cas, car je suis invité. D’après ce que j’observe sur le terrain que ce soit dans la rhétorique que dans le design spatial car tout se passe dans la rue, l’Allemagne ne conçoit qu’il n’existe qu’un seul type de camerounais se présentant au consulat pour obtenir un visa; nous sommes donc tous d’entrée de jeu des indigents, des demandeurs, des parasites ou des tricheurs qu’il faudrait démasquer avant même qu’ils se retrouvent dans l’enseigne du consulat. Donc dans leur esprit il n’existe pas un camerounais dont ils auraient besoin, un africain qui pourrait leur apporter quelque chose, un camerounais qui leur ferait l’honneur de venir chez eux. Malheureusement mon invitation confirme bien que je suis de ceux là qui font un honneur à l’Allemagne en s’y rendant, n’en déplaise au consul Allemand de Yaoundé qui semble surpris que cette espèce puisse exister au Cameroun et il en existe d’autres bien plus prestigieux que moi.nCher consul, la narrative discriminatoire, méprisante et humiliante que vous imposez dès la porte de votre consulat à des africains alors qu’ils sont encore chez eux est humainement inacceptable et vous devez en avoir honte après tout ce que votre pays a fait subir aux camerounais dans le passe sans avoir jamais obtenu ni excuses ni réparations. Et ceci n’est pas vrai que pour l’Allemagne. Quand on sait avec la fuite des cerveaux quelle est la contribution des africains au développement de l’occident au quotidien, il est aujourd’hui inacceptable qu’en guise de récompense et de réparations vous n’ayez que l’humiliation à nous offrir sur notre propre sol.nPourquoi entretenez-vous cette narrative qui fait croire que quand nous voulons venir chez vous, c’est pour vous parasiter, vous les riches occidentaux alors qu’on sait que vous comptez désormais sur le continent noir pour résoudre certains problèmes d’avenir qui se posent déjà avec acuité chez vous ? Si j’ai fait le mouvement migratoire inverse en rentrant dans mon pays comme beaucoup d’autres, c’est pour faire mentir votre narrative. C’est parce que nous estimons que le Cameroun est beaucoup mieux pour nous malgré ses problèmes que nous revenons. Beaucoup de camerounais de qualité sont dans cette dynamique et travaillent à se reconstruire un chez eux en Afrique malgré les dommages crées par vos pays occidentaux depuis les ravages de la colonisation, malgré les nouvelles entreprises d’exploitations comme vos APE, malgré les programmes d’ajustements structurels qui nous ont mis à genoux. J’essaye comme beaucoup de camerounais de sortir des spirales du tribalisme installé en Afrique depuis le 19eme siècle par les idéologies allemandes du diviser pour régner et qui ont permis plus tard des génocides comme ceux du Rwanda.nNotre retour dans ce pays qui est le notre est une démarche très consciente même s’il n’est pas facile et c’est un choix que nous faisons de vivre avec ceux qui nous ont vu grandir, de vivre en partageant nos rêves, nos désirs, nos frustrations, en essayant d’éduquer les jeunes par rapport cette hostipitalite (hostilité dans l’hospitalité) occidentale dont parle Derrida et à participer aux débats politiques qui font qu’on peut rêver un jour que cette Afrique qui n’est pauvre que parce que l’occident contrairement aux chinois lui a refusé la technologie ; et c’est cette Afrique qui apporte plus à l’occident que l’occident lui apporte, que nous voulons remettre debout. Les consulats occidentaux en Afrique sont loin d’être des espaces d’hospitalité universelle comme le définit Emmanuel Kant quand il parle du droit de visite “Nul État ne peut interdire à un étranger de débarquer chez lui”.nComme dans tous les systèmes fascistes le consulat établit arbitrairement ses règles, des règles qu’il va faire respecter, s’arrogeant ainsi le droit d’infliger comme par nostalgie toutes sortes d’humiliations humaines sans avoir de compte à rendre à aucun tribunal sauf à sa propre hiérarchie qui autorise quasiment tous les coups. Une hiérarchie qui va s’empresser d’étouffer tous les traitements scandaleux inacceptables dans tout pays qui se voudraient démocratiques.Vous pouvez faire confiance aux Allemands pour leur amour des règles et surtout du plaisir qu’ils prennent à punir ceux qui ne respectent pas les règles; la Grèce en sait quelque chose. Pourquoi le consulat doit-il rester un far west? Un no human’s land où l’Homme est condamné à perdre sa dignité sans qu’il puisse avoir droit à aucune justice, sinon la justice de celui-là même qui inflige le préjudice?nLe consulat est donc cet espace qui légitimise une violence perpétrée contre l’Autre parce qu’il est avant tout different; c’est à dire qu’il est un africain, qu’il est un noir. Car le noir qu’on fait attendre sous le soleil dans la rue devant le consulat Allemand à Yaoundé est d’abord le noir qui a avec le blanc une longue Histoire d’esclavage, de colonisation, d’apartheid, et de ségrégation. Si ne serait-ce que par pudeur le blanc avait quelques remords vis à vis de cette histoire horrible dont il est l’ultime méchant, il imaginerait ne serait-ce que pour des raisons cosmétiques un autre dispositif. Avez-vous déjà remarqué les dispositifs devant les consulats? Ils parlent d’eux-mêmes et nous font comprendre que vouloir se déplacer dans ce monde est devenu un véritable acte de guerre dont nous africains sommes déjà à domicile les premières cibles. Car les dispositifs mécaniques et technologiques devant les consulats rappellent ceux utilisés jadis à chaque fois qu’il a fallu honteusement trier les Hommes. Et quand on y rajoute les dispositifs de langage, on comprend bien que leur finalité est de produire la même forme de violence que celle qui fut déployée pendant l’apartheid en Afrique du Sud, la Shoah en Europe ou la ségrégation raciale en Amérique…nLe dispositif prévoit bien évidemment le traditionnel rôle du “gatekeeper”, le noir que vous voyez à la porte du consulat Allemand de Yaoundé. Car parce qu’il est des nôtres, il saura mieux qu’un Allemand comment dénicher les manigances de ses frères menteurs et tricheurs. Des traîtres faciles à embaucher, qui moyennant quelques subsides trahiront père et mère pour le statut privilégie du “house nigger”. Car pour arriver au blanc, vous devez passer par une voire deux couches de noirs avant que le blanc enfin n’arrive tel un dieu car vous êtes bel et bien déjà au paradis… Évidemment tout ceci est pensé, dessiné et sculpté; ça s’appelle un design. Enfin dans le dispositif, il y a les brimades comme à l’époque coloniale; la brimade de la bureaucratie. Tel papier qu’il faut puis tel autre papier qu’on ne peut obtenir sans tel autre. Puis le fameux rendez-vous à ne prendre qu’au téléphone parfois payant ou sur internet et on vous donne une date trois, cinq ou six mois plus tard! La question que je me suis posé tout d’un coup debout dans la rue devant ce consulat allemand de Yaoundé a été : pourquoi dois-je accepter tout ça? Pourquoi acceptons-nous qu’on nous traite de la sorte? Je refuse que cette terre devienne de plus en plus impénétrable. je refuse ces clôtures qui arrêtent a tout instant l’accueil et le déplacement.nJe refuse l’idée du consulat comme un espace de repli des individus sur eux-mêmes dans la forteresse de leurs identités foyers de forces répulsives. Si les consulats comme celui de l’Allemagne à Yaoundé et les autres nous éloignent de la perspective de Derrida pour qui « l’hospitalité est infinie; donc inconditionnelle » il faut dénoncer cette façon dont l’hospitalité est pratiquée dans les États modernes. Et Evo Morales, le président Bolivien a bien rappelé aux européens qu’ils ont bien fui la crise des années trente en se déversant massivement en Amérique latine, dieu merci il n’y avait pas consulats à l’époque, mais un tel scénario n’est pas à exclure aujourd’hui avec toutes ces crises en Europe. Parce qu’on définit la culture comme étant la rencontre avec l’Autre, le Ministère qui gère l’Autre, c’est à dire le Ministère de l’Extérieur et celui qui gère le Moi, c’est à dire le Ministère de l’Intérieur devraient fusionner avec le Ministère de la Culture pour faire du consulat cet espace d’hospitalité. Donc si les allemands à travers leur consulat ont décidés de trahir cette idée noble de l’hospitalité de Kant pour qui l’hospitalité signifie le droit pour l’étranger, à son arrivée sur le territoire d’un autre, de ne pas être traité par lui en ennemi, ce n’est pas a moi de les sauver du destin qui est le leur. Soyez les monstres que vous avez décidés d’être! Je ne viendrai plus dans votre consulat de Yaoundé au prix de mon honneur et de ma dignité.nJean-Pierre Bekolo 

Bulletin d'information

Avec notre newsletter, nous vous informons sur l'actualité d'AfricAvenir International Berlin et sur les thèmes de la décolonisation, de la critique du racisme et des perspectives africaines. Inscrivez-vous ici et recevez deux fois par mois des rendez-vous, des conseils de lecture et d'autres recommandations.